Alors que l'Humanité est en danger, entre crise de la presse et problèmes de trésorerie, Jean-Luc Mélenchon, co-président du Parti de gauche apporte son soutien à votre quotidien. Parce que "sans l’Humanité, il n’y aurait jamais eu de décryptage du traité européen en 2005 ou de l’ANI cette année. Sans l’Humanité, les salariés en lutte seraient complètement absents du paysage médiatique."
Vous êtes très critique à l’égard des médias, quel regard portez-vous sur ce monde ? L’Humanité y occupe-
t-elle une place particulière ?
Jean-Luc Mélenchon. Je suis critique à l’égard du système médiatique. Cela ne met en cause ni les personnes ni les titres par eux-mêmes. Mais cette critique est centrale dans mon combat. Elle concerne un pilier fondamental de la souveraineté populaire. Car en République le citoyen doit se prononcer sur l’intérêt général. Pour cela, il n’a qu’un instrument : sa raison. Et pour raisonner, il a besoin de deux éléments fondamentaux : avoir été éduqué par une éducation laïque et de haut niveau, et être continuellement et correctement informé sur les enjeux du monde qui l’entoure. Sans ces deux éléments, il n’y a ni démocratie ni République possible. Les médias ont donc un rôle absolument crucial. C’est pour cela que nous sommes particulièrement exigeants à leur égard. Trop souvent, les grands médias et les médiacrates se complaisent dans le spectaculaire, l’anecdotique, les petites phrases.
Aujourd’hui, l’information est bien souvent un simple spectacle entre deux espaces publicitaires pour « cerveaux disponibles ». Tout cela est bien sûr la conséquence de la possession des grands médias par des groupes privés. Mais le secteur public n’y échappe pas du tout, au contraire. Car la domestication des professionnels des médias est très avancée. Il faut dire qu’elle repose sur un moyen de pression colossal : la précarité généralisée dans laquelle vivent les journalistes de terrain. Dans ce paysage des médias, des professionnels résistent. Bien sûr, l’Humanité en fait partie. Sans l’Humanité, il n’y aurait jamais eu de décryptage du traité européen en 2005 ou de l’ANI cette année. Sans l’Humanité, les salariés en lutte seraient complètement absents du paysage médiatique. Sans l’Humanité, le Front de gauche subirait un ostracisme encore plus grand. Ce travail est extrêmement précieux pour nous.
«C’est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes
les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger
elles-mêmes les événements
du monde», écrivait Jaurès dans le premier édito de l’Humanité. À l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, est-ce
encore un enjeu aujourd’hui ?
Jean-Luc Mélenchon. Cette phrase de Jaurès prouve que l’information, et donc le journalisme, est un métier. Une qualification. Certes, les blogs et les réseaux sociaux permettent davantage de réactivité et d’esprit critique. Les bidonnages médiatiques sont plus rapidement dégonflés. Tant mieux. En cela, ils ne doivent pas être vus comme des adversaires des médias, mais bien comme une boussole. Ils exercent une vigilance citoyenne dont les journalistes honnêtes et sérieux n’ont rien à craindre.
Vous appelez, avec le Front de gauche, à une VIe République. Quelle place et quels moyens
la presse peut-elle avoir dans
une démocratie renouvelée ?
Jean-Luc Mélenchon. Le vent de la révolution citoyenne doit souffler aussi dans les médias. Les chantiers sont immenses. Les professionnels et les lecteurs téléspectateurs devront les mener jusqu’au bout. D’abord il faut en finir avec la précarité sociale. Ensuite il faut donner le pouvoir au peuple. Pour libérer les médias de la toute-puissance des médiacrates et des propriétaires, les abonnés devraient pouvoir participer aux grandes décisions au même titre que les actionnaires ou les journalistes. Une politique nouvelle doit soutenir les médias indépendants. Et dans le service public, j’ai fait la proposition que le citoyen contribuable puisse élire les principaux dirigeants de chaînes, parmi une liste de personnalités sélectionnées par les professionnels sur la base de la compétence. Enfin, il faut entièrement refonder la commission des sondages. Et aussi le CSA. La première est un organe inutile et complaisant qui ne sert aujourd’hui à rien d’autre qu’à couvrir les turpitudes des sondeurs, la seconde est impuissante.
Notre journal a-t-il une place particulière auprès des militants de votre parti et du Front de gauche ?
Jean-Luc Mélenchon. Bien sûr ! Le journal est dans ma boîte le matin. Mais comme je pars avant qu’il soit livré, je l’achète au kiosque. Je mets un point d’honneur à l’abandonner dans un bistrot pour qu’une autre personne le lise ! L’Huma est une lecture indispensable à plus d’un titre. D’abord pour suivre les luttes et les résistances. Ensuite parce que c’est le seul quotidien qui traite en profondeur de l’actualité du Front de gauche, de ses initiatives, des débats qui le traversent. Enfin je suis addict à la rubrique culturelle du journal. Sans oublier les éditorialistes qu’il m’arrive de commenter en direct par texto... L’Huma, c’est aussi cette magnifique fête tous les ans en septembre, cette grande fête qui est devenue celle du Front de gauche.
Pensez-vous que le journal joue un rôle utile à l’heure où les débats sur la politique à suivre traversent la gauche ?
Jean-Luc Mélenchon. Oui. Sans l’Humanité, aucun quotidien ne dénoncerait les politiques d’austérité ou le saccage et le pillage du pays par la finance. C’est une bouffée d’air frais dans le débat dans le pays, mais aussi à gauche. Et puis Jaurès a créé l’Humanité pour rassembler les courants socialistes qui étaient alors divisés. L’Humanité est fidèle à ce rôle en proposant des débats entre les formations de gauche. Alors que les journaux des sociaux-libéraux passent leur temps à nous insulter, l’Humanité reste l’un des rares lieux où l’on peut débattre du fond à gauche. Un journal qui s’assume et qui assume.
Entretien réalisé par
Julia Hamlaoui