Natacha Boussaa. Il vous faudra nous tuer
L’Humanité publie en exclusivité en ce mois d'août le début d’un des premiers romans qui paraîtront cette rentrée. Pour cette deuxième semaine j'ai sélectionné le livre de Natacha Boussaa, jeune comédienne.
Le sujet est plein de fraicheur et l'écriture alerte.
DEBUT DU ROMAN
Vendredi 10 mars 2006, 15 heures
Faux sourire. Fausse politesse. Faux intérêt pour tout ce qui s’agite devant mes yeux. Combien de temps encore ? Sur le cadran inflexible, les aiguilles ciblent l’ennui. Pourvu qu’on ne me demande plus rien. Attifée en hôtesse, je crève derrière le comptoir de réception d’un building de verre. J’accueille les visiteurs, comme si l’on pouvait encore être accueilli quelque part. Je répartis les appels téléphoniques vers les différents postes, comme si l’humanité en dépendait. Je prête attention à tous les cadres supérieurs, directeurs de service, assistants et autres sommités qui entrent dans le hall, incessant ressac d’insectes. Je fais face à leurs regards mi-méprisants mi-concupiscents, lorsqu’ils me saluent, me demandent un badge, en agitant leur montre à plusieurs smics devant moi, preuve des bons choix qu’ils ont toujours faits. « Excellente présentation, dynamisme, rigueur, ponctualité, sens du service, discrétion, capacité d’écoute et aisance relationnelle sont vos atouts, connaissances informatiques (Word, Excel, Internet Explorer) et anglais d’accueil exigés », disait l’annonce de recrutement.