C’est une nouvelle aventure dans leur carrière respective. Si Alain Souchon et Laurent Voulzy ont souvent composé et écrit l’un pour l’autre, jamais ils n’avaient enregistré de disque commun. C’est chose faite avec ce premier album écrit à quatre mains et chanté à deux voix qui vient couronner quarante ans d’amitié et de chansons à succès. Un disque aux ambiances britpop teinté de musiques médiévales ou celtes d’une incroyable beauté, très addictif. À écouter en boucle pour se consoler des malheurs du monde.
Vous n’aviez jamais sorti d’album commun. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?
ALAIN SOUCHON On n’a pas attendu. On a chacun notre vie artistique différente. Laurent chante ses chansons dans un certain contexte, moi dans un autre. Comme on va souvent à la campagne, dans les églises ou sous les ponts où ça résonne, on s’arrête et on chantonne pour le plaisir. L’air vibre d’une certaine manière et ça nous plaît beaucoup. Un jour, Laurent a dit : « Et si on faisait un disque chanté ensemble ? »
C’est difficile d’écrire à quatre mains ?
ALAIN SOUCHON Musicalement, tout ce que fait Laurent me plaît. Donc, le choix musical a été assez facile. Par contre, pour les paroles, c’est quand même un peu le reflet de l’âme de quelqu’un. On a des personnalités, des préoccupations différentes dans la vie. Il fallait que cela nous convienne à tous les deux sans que ce soit fade.
Quand on vous écoute chanter, on sent
une harmonie et une parfaite osmose entre vous. Vous n’avez jamais de visions contradictoires ?
LAURENT VOULZY Ce n’est pas une question d’avis, mais de ressenti, de goût artistique. C’est l’image du verre à moitié vide et à moitié plein. Alain a une vision du monde un peu désespérée. Moi, je trouve que le monde est parfois désespérant, mais j’ai un peu plus d’espoir. On a trouvé une façon de le dire et surtout des sujets sur lesquels on est « étale », à l’aise, comme avec la chanson Consuelo ou Bad Boys par exemple…
Laurent, sauriez-vous dire ce que vous aimez chez Alain ?
LAURENT VOULZY Sa façon de voir les choses. Je suis lent en tout, non seulement lorsque je cherche à composer, mais je suis lent dans la vie. Alain, lui, est extrêmement rapide, cela m’oblige à me bouger. Il m’a appris beaucoup sur les choses simples, l’esthétique. Il y a peu de gens qui s’arrêtent devant un mur de pierres en Bretagne, qui disent « regarde, comment ils ont construit tout ça, tu te rends compte, des murs en pierres sèches ! ». Il a été un accélérateur pour moi. Et, depuis quarante ans qu’on écrit ensemble, je trouve que son écriture est bluffante.
Et vous, Alain, qu’aimez-vous de Laurent ?
ALAIN SOUCHON J’étais très moyen musicalement et j’ai été ébloui par sa culture musicale, sa façon de faire de la musique, de créer des airs, des suites harmoniques raffinées. Ça m’a toujours impressionné et beaucoup apporté. Grâce à ma rencontre avec lui, ma vie a changé. Je faisais des chansons qui n’intéressaient personne et dès que j’en ai écrit une avec lui, J’ai 10 ans, on a eu beaucoup de succès. On a fait J’suis bidon, c’était pareil. Après, on fait Rockollection pour Laurent, et les filles ont commencé à hurler après lui (rires). J’ai toujours admiré le créateur, le musicien et l’homme dans la vie. Laurent est tellement bienveillant et agréable à vivre.
L’album mêle différentes ambiances, chanson, pop anglaise, musiques médiévales, celtes… Votre palette musicale est très large !
LAURENT VOULZY J’ai été influencé par tout ce que j’ai entendu dans ma vie. Je rentre toutes les musiques dans mon panier de cuisinier, avec de plus en plus d’ingrédients. La pop anglaise m’a marqué, la musique brésilienne quand j’apprenais la guitare m’a marqué et plus tard la musique médiévale et la musique celtique. La musique antillaise de la Guadeloupe a été la première que j’ai entendue. J’ai tout ça en moi avec en plus la chanson française que j’écoutais petit, sur Radio Luxembourg. André Claveau, Charles Aznavour… Tout cela est dans tous mes disques. Par exemple, la chanson les Fleurs du bal est extrêmement celtique en même temps avec des influences de Mark Knopfler. Un autre morceau va être beaucoup plus british pop « beatlesien ». Dans Oui, mais, quand on a orchestré, j’ai mis une guitare douze cordes, d’un seul coup, ça nous a rappelé l’ambiance de Lady Jane. Parfois la musique est inspirée par le XIIIe, XIXe siècle, comme sur le texte d’On était beau. C’est un mélange de tout.
Dans Derrière nos voix, vous chantez « est-ce que l’on voit nos cœurs et les tourments à l’intérieur » … C’est important, quand est artiste, de savoir comment les gens
entrevoient réellement les sentiments derrière les mélodies ?
ALAIN SOUCHON Bien sûr que c’est important ! Est-ce qu’on voit ce qu’on veut dire vraiment dans nos chansons, que c’est plus profond qu’on ne croit ? Est-ce qu’on fait bien notre travail ? Les êtres humains ne se comprennent pas, c’est pour ça qu’ils se battent tout le temps. Ils ont une apparence et il y a le reste derrière, qui est souvent bouleversant.
Il peut y avoir aussi des envies de refaire le monde…
ALAIN SOUCHON C’est ce qu’on dit dans la chanson : « On était beau, on avait des idéaux. » On avait envie de refaire le monde à partir du moment où les Rolling Stones sont arrivés avec le rock, ils avaient envie de montrer à la bourgeoisie dominante : « Vous voyez, on s’habille comme des pirates, et on dit aux filles “venez baiser avec nous !” » (rires). C’était la révolution qui a amené petit à petit à 1968, au mouvement hippie, ce désir que le monde bascule, change. Qu’il y ait plus de liberté, d’amour, de sexe, de gentillesse.
Quelle lecture faites-vous de l’Oiseau malin où vous chantez « prenez garde à ceux qui n’ont rien, à ceux qu’on laisse au bord du chemin » .
ALAIN SOUCHON Les révolutions sont faites par les gens qui n’ont rien. Ce sont eux qui font que le monde avance, qu’il y a des lois sociales. Les nantis qui vont bien, ils n’ont pas envie que ça change. Les gens qui n’ont rien sont extrêmement importants. Il faut les prendre en compte. Je ne veux donner de leçon à personne, je ne sais pas comment résoudre les problèmes, mais je vois bien que ça ne va pas, qu’il y a des tas de zones d’ombre dans nos sociétés et que c’est difficile à vivre pour certains. LAURENT VOULZY J’écoute avec attention ce que dit Alain. Mais dans ce « prenez garde à ceux qui n’ont rien », on pourrait presque entendre « ça va péter », comme une révolte sourde qui peut exploser.
Ca fait quoi d’être comparés à Lennon- McCartney ou Simon and Garfunkel ?
ALAIN SOUCHON Vous nous comparez à des géants alors que nous ne sommes que des lilliputiens puisqu’on est français. Ce sont des gens qui ont inondé la planète avec leur musique. J’ai été influencé bien sûr par la musique anglo-saxonne. Mais au départ les chansons françaises m’ont bouleversé, de Gainsbourg, Brassens. Je trouvais même que c’était supérieur à la musique anglo-saxonne qui était belle et donnait souvent envie de bouger. S’il n’y a pas de paroles, je m’ennuie. Il faut que je comprenne. Je me disais quand même avec une chanson comme Locomotive d’or, de Nougaro, ils peuvent s’accrocher, les mecs ! LAURENT VOULZY Moi, Penny Lane me donne plus d’émotion. Chez les artistes qu’Alain a cités, la musique est toujours magnifique. Il n’y a pas de grande chanson française s’il n’y a pas une musique formidable comme avec Charles Trénet, Brassens, Léo Ferré, Guy Béart. Sinon, c’est de la poésie…